Enseignant et devoir de réserve : la réalité !

Plusieurs IEN et DASEN ont, par rapport aux positions vis-à-vis du PPCR et de la loi Blanquer comme des élections à venir, rappelé avec une pression accrue que les enseignants étaient soumis à un devoir de réserve.
Mais en réalité…

« Devoir de réserve » des fonctionnaires ?!?

Régulièrement, lors de conflits avec la hiérarchie, comme en période électorale, nos supérieurs hiérarchiques font circuler toutes sortes de documents (circulaires, notes de service…) sur le soit disant « devoir de réserve » ou « devoir de réserve électoral »… Rumeur, intimidation, ignorance… ? Qu’en est-il vraiment ?

Le devoir de réserve n’existe pas !
L’activité professionnelle des fonctionnaires est régie par le statut général des fonctionnaires (loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations du fonctionnaire, loi dite Le Pors). A aucun moment dans cette loi il est fait référence au « devoir de réserve ». Le devoir de réserve n’existe pas !!!
On pourra d’ailleurs citer Anicet Le Pors, qui en tant que Ministre de la Fonction Publique, a conduit l’élaboration et l’esprit de cette loi, et qui explique que le devoir de réserve été volontairement exclu du statut des fonctionnaires en 1983, et qu’à contrario il leur accorde la liberté d’opinion. Le statut des fonctionnaires impose la discrétion professionnelle, ce qui n’est absolument pas la même chose.

Néanmoins, ce qui existe depuis en matière de devoir de réserve, c’est « une construction jurisprudentielle extrêmement complexe qui fait dépendre la nature et l’étendue de l’obligation de réserve de divers critères dont le plus important est la place du fonctionnaire dans la hiérarchie » (Anicet Le Pors) qu’on peut résumer ainsi : « plus on a de responsabilités hiérarchiques, plus le devoir de réserve est grand. Moins on en a, moins on a de devoir de réserve. »

Il précise que « la question est plus politique que juridique et dépend de la réponse à la question simple : le fonctionnaire est-il un citoyen comme un autre ? ». Il ajoute que « Dans les années 1950, Michel Debré donnait sa définition : ” Le fonctionnaire est un homme de silence, il sert, il travaille et il se tait “, c’était la conception du fonctionnaire-sujet. Nous avons choisi en 1983 la conception du fonctionnaire-citoyen en lui reconnaissant, en raison même de sa vocation à servir l’intérêt général et de la responsabilité qui lui incombe à ce titre, la plénitude des droits du citoyen. » Pour terminer ainsi « C’est cette conception qui est en cause dans les mesures d’intimidation précédemment évoquées prises au plus haut niveau de l’État, préliminaires d’une vaste entreprise de démolition du statut général des fonctionnaires… ».

Le devoir de réserve électoral existe encore moins !
Le « devoir de réserve électoral » n’existe pas non plus dans la loi. Il a cependant été institué dans les faits, pour empêcher qu’un représentant de l’État ne se fasse chahuter en période électorale… Cette notion qui n’existe donc pas dans les textes, est un usage auquel ne se soumettent que celles et ceux qui le veulent bien… et essentiellement les fonctionnaires d’autorité (Préfet, Directeur de services Départementaux, Recteurs, Inspecteurs d’Académie, etc…). Sachant qu’en principe cela ne les concerne normalement que « dans l’exercice de leurs fonctions ».

Sur ce point on rappellera qu’il existe pour les fonctionnaires des autorisations d’absence pour des fonctions publiques électives en tant que candidat (circulaire FP n°1918 du 10 février 1998), ou en tant qu’élu local (code général des collectivités territoriales). Ce qui de fait invalide la thèse du devoir réserve électoral du fonctionnaire

Ce que dit la loi n°83-634 du 13 juillet 1983

L’article 26 stipule que « Les fonctionnaires sont tenus au secret professionnel dans le cadre des règles instituées dans le code pénal. » Ce secret professionnel ne concerne donc que certaines professions réglementées par le code pénal (médecin, assistant des services sociaux…).

L’article 26 continue ainsi « Les fonctionnaires doivent faire preuve de discrétion professionnelle pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions ». Il s’agit bien de « discrétion professionnelle » et non de « devoir de réserve », et uniquement dans l’exercice de leurs fonctions.
Sinon on rappellera le plus important : « la liberté d’opinion est garantie aux fonctionnaires » (article 6).

Article 6 qui continue ainsi « Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race. »

On pourra aussi ajouter l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui vaut pour les fonctionnaires comme pour tout citoyen : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »

Précisions sur l’intervention syndicale pour l’abrogation du décret Rythmes scolaires.

Nous avons expliqué que l’obligation de réserve n’est pas inscrite dans notre statut et qu’elle reste une construction jurisprudentielle du conseil d’État.

L’article 6 de la loi statutaire n° 83-634 du 13 juillet 1983 précise donc que : « La liberté d’opinion est garantie aux fonctionnaires ». Nulle part n’est inscrite une quelconque obligation de réserve à l’exception des statuts particuliers des militaires, policiers et juges (loi du 13 juillet 1972 et décret du 18 mars 1986).

La doctrine du gouvernement se résume ainsi : « l’obligation de réserve impose au fonctionnaire, en dehors de leur service, de s’exprimer avec une certaine retenue, d’éviter, compte tenu des principes de subordination hiérarchique et de neutralité des services publics, toute expression outrancière d’opinions et de critiques injurieuses ou matériellement inexactes, d’une manière générale, toute manifestation d’opinion de nature à porter atteinte à l’autorité de la fonction. Cette réserve s’apprécie eu égard à la nature des fonctions et aux circonstances; le fait de ne pas l’observer peut, sous le contrôle du juge administratif, être sanctionné sur le plan disciplinaire » (JOAN du 14 octobre 1959 p.1791)
Et ainsi : « l’obligation de réserve, qui contraint les agents à observer une retenue dans l’expression de leurs opinions, notamment politiques, sous peine de s’exposer à une sanction disciplinaire, ne figure pas explicitement dans les lois statutaires de le fonction publique…
C’est l’autorité hiérarchique dont dépend l’agent qu’il revient d’apprécier si un manquement à l’obligation de réserve a été commis… »
(JOAN n° 41 du 8 octobre 2001 p.5798).

Ce qui laisse la possibilité de s’exprimer et de donner nos arguments syndicaux en faveur de l’abrogation du décret du 24 janvier sur les rythmes scolaires.

Cas où l’obligation de réserve ne peut pas être avancée par les autorités administratives :

• Réunions publiques
En tant que citoyen, tout fonctionnaire a le droit de participer à des réunions publiques, qu’elles soit politiques, syndicales, associatives, religieuses ou autre, et d’y donner son opinion personnelle.

• Liste électorale politique et campagne électorale
Comme pour les réunions publiques, il est nécessaire de rappeler que l’obligation de réserve ne peut s’appliquer lorsqu’un collègue s’inscrit sur une liste électorale politique, ou se fait élire sur un mandat politique (maire ou député par exemple) ou participe à une campagne électorale pour un candidat.

Malgré certaines pressions de recteur ou de DASEN, le ministère de l’Éducation nationale a toujours acté l’exactitude de cette position.