La continuité pédagogique : le mythe et la réalité

En préalable, reconnaissons que tous les enseignants font leur possible pour assurer la continuité pédagogique. Non pas tant parce que prônée par notre ministre de tutelle que parce qu’elle relève de notre conscience professionnelle.

Hélas, faire son possible s’apparente quelquefois à faire l’impossible.


Qu’on en juge :
les sites institutionnels sont dépassés, n’ayant jamais été calibrés pour une fréquentation massive, généralisée et simultanée ; l’ENT ? On oublie, de toutes façons, on laissait déjà cela aux plus grands, trop contraignant, trop complexe.
Le CNED « L’école à la maison » ? on crée son compte, on s’inscrit, puis quand on veut s’en servir, notre mot de passe n’est pas reconnu, Et la fonctionnalité « mot de passe oublié » pour renouveler celui-ci en cas de problème ne fonctionne pas temporairement (cela fait 5 jours, à partir de combien de jours l’adverbe temporairement perd-il son sens?) ;

Que faire alors ?

Tester la création d’une adresse mail pour notre classe. C’est parti. Mais là, on se heurte à un autre souci : les adresses mails des parents… Denrée très rare en REP, peut-être aussi hors REP. On ne peut jeter là encore la pierre à personne : les parents comme nous n’ont jamais eu besoin d’échanger par mail. Qui aurait pu prévoir la situation telle que nous la vivons actuellement ?

Alors on se jette dans un combat mental  entre la conscience professionnelle (qui veut que nous trouvions à tout prix le moyen de rester en contact avec nos élèves) et la conscience de soi ( suis-je vraiment prête à envoyer des textos à mes parents d’élèves depuis mon téléphone personnel?) . Au pire on se dit que l’on changera de puce de téléphone… On ne se pose pas le problème du coût : on se dit que nous avons la chance d’être payé précisément pour suivre nos élèves..
Parce que nous sommes comme ça, massivement, dans l’enseignement.

Du coup, on récolte des mails. Oui mais en REP, tous n’ont pas de connexion internet, et quand ils l’ont, ils l’ont souvent sur un petit écran de téléphone, plus rarement sur un écran d’ordinateur. Le jackpot, c’est quand une famille a un ordinateur et une imprimante. Donc fatalement, on accroît les écarts entre les familles connectées ou pas, avec imprimante ou pas, etc…

En vaillant petit soldat, on imprime, scanne tous les documents depuis son matériel personnel (fut un temps où le ministère de l’Éducation Nationale offrait à chaque élève une tablette à son entrée en 6e ; nous achetons notre matériel de travail, ordinateur, imprimante, et ré-téléphone portable.) On envoie le tout en PJ aux parents dont on a le mail, puis on corrige les feuilles de travail, on re-scanne et on ré-envoie…

Là-dessus, on ne baisse pas les bras pour ceux qui n’ont pas internet : on leur fixe un rendez-vous à l’école, avec autorisation de déplacement, gestes barrières et toutes les mesures qui s’imposent. Mais les consignes changent tellement vite que déjà il faut annuler le rendez-vous, car tout passera par courrier postal nous annonce-t-on… Mais comment ? Qui va imprimer les travaux et les poster ? On redoute que la fracture numérique se traduise par une double-peine pour les enfants « non connectés » : pas d’internet, pas de sites en ligne pour s’entraîner, pas d’adresse mail sur laquelle obtenir régulièrement du travail, des conseils et des corrigés.

Voilà la réalité de la continuité pédagogique et des « trous dans la raquette ». Sauf que nous mettons des visages enfantins sur ces trous.